Sarko:  »je n’effectuerai qu’un mandat. Après je ferai du fric »

Un livre vient de sortir, salué par toute la presse : Protraits crachés de Denis Jeambar.  Journaliste, son dernier poste fut la Direction de l’Express.  Il a ainsi accumulé des portraits et des informations qu’il restitue dans ce livre fort bien écrit.   Voici le portrait qu’il fait de Nicolas SARKOSY.  Il n’a pas attendu ces dernières années pour l’observer et cracher ce récit.  Il n’en reste pas moins que ce livre pose aussi la question de tout ce que garde par devers eux les journalistes et qu’ils ne lachent souvent que dans un livre.    Ce livre passionnant mérite d’être découvert par de nombreuses personnes.  

NICOLAS SARKOZY

Jamais je ne comprendrai pourquoi Nicolas Sarkozy souffre de sa taille et se perche sur des talonnettes.  Certes, il a trop de muscles. Tout en lui est épais. Mais il n’est ni lourd ni bedonnant, grâce aux régimes qu’il s’impose. C’est un gros qui se combat avec succès. Son corps, en fait, est puissant et cela suffit à l’imposer. Ce mardi soir de février 2006, comme toutes les fois où j’ai eu l’occasion de le rencontrer, j’ai pensé à un sanglier. Il fonce, il est indestructible, il bouffe ce qui se présente, piétine ce qu’il traverse, ne respecte aucun code et n’a peur de rien. Sauf, peut-être, de lui-même et de ces centimètres qui, à ses yeux, lui manquent.

Je me rappelle les célébrations du cinquantième anniversaire de la Libération de Paris en août 1994. Ce soir-là, j’ai réalisé combien compte la présence physique en politique. Mitterrand, Balladur et Chirac passaient les troupes en revue sur la place de l’Hôtel-de-Ville. L’ordre protocolaire rimait avec la stature de ces trois hommes : le chef de l’État, râblé et ossu, en tête ; juste derrière lui, le Premier ministre, plus grand, mais léger et précieux ; enfin, le maire de Paris, « RoboCop » immense et massif.

 Trois éminences mais deux d’entre elles, seulement, avaient la densité d’un corps présidentiel : Mitterrand, petit trapu, et Chirac, géant écrasant. Au milieu, l’élégant Balladur n’existait pas. Il flottait, dandy inconsistant, gommé par le rayonnement corporel des deux autres. Je compris alors que la métrique n’a aucune importance dans une élection présidentielle, seules comptent les radiations que dégage le candidat. Nicolas Sarkozy en a apporté la preuve avec sa victoire de 2007 mais, curieusement, demeure cet étrange et surprenant complexe de la grandeur.

Je ne le vois donc pas petit alors qu’il m’accueille dans son bureau de ministre de l’Intérieur, place Beauvau.  Quelques mois plus tôt, le 13 novembre 2005, je l’avais interviewé dans un salon voisin après les émeutes de banlieue. Une heure et demie d’entretien sauvage, argument contre argument, à voix haute, voire hurlante, point de vue contre point de vue. Cet homme rageur, nerveux, toujours impatient, qui ne supporte pas la défaite et cherche toujours à terrasser ses interlocuteurs ou ses adversaires, tolère curieusement la contradiction. Il accepte qu’on lui parle brutalement parce qu’il n’aime, au fond, que le rapport de force. Combien d’autres fois, suis-je sorti épuisé de nos affrontements malgré ma grande carcasse et une véritable endurance. De son côté, à l’issue de ces confrontations, il semblait toujours frais comme un gardon, presque régénéré. Sarkozy est un bagarreur de cour de récréation, un cogneur qui se remplume dans la castagne et y oublie ses tracas. Qui reviennent très vite ensuite.

 Ce dimanche de novembre 2005, alors qu’il me raccompagnait vers le perron du ministère, il m’avait empoigné le bras gauche et entraîné dans un coin pour me dire, la voix soudain plus basse : « Tu sais, je viens de vivre les six mois les plus épouvantables de ma vie. » Rien de plus. La confidence n’attire pas de commentaire quand on n’est pas intime. Mais le masque était tombé quelques secondes : sa femme Cécilia l’avait quitté, il ne le supportait pas ; d’ailleurs, le salon où avait eu lieu l’entretien était toujours envahi de photos d’elle alors qu’une maîtresse intérimaire occupait les lieux. Une poignée de secondes donc, la garde baissée, et les faiblesses d’un homme étalées.

 La solitude est sans aucun doute le pire ennemi de Nicolas Sarkozy. Il la redoute, il en a peur. Il lui faut une femme à ses côtés. Il ne peut rester seul avec lui-même. Tous les jours, il a besoin de savoir qu’il séduit, qu’il convainc, qu’il est aimé, qu’il réconforte. Il lui faut rassurer pour se rassurer. Seul, son insatiable optimisme se fane. En couple, il dévore la vie. Est-il vraiment fait pour l’exercice monacal du pouvoir ? Dans ce roc, il y a des failles affectives. Peut-être trop d’humain au sens naturel du mot : des émotions qu’il ne domine pas, un instinct qu’il ne tempère pas, des sentiments, bons ou mauvais, qu’il ne contrôle pas.

Que me veut-il ce mardi soir de février 2006 ? Je n’ai pas sollicité de rendez-vous, mais il a fait croire à mon assistante que c’était le cas. J’ai deviné, évidemment, qu’il avait quelque chose à me dire ou à me demander.

 Cet homme devient un ogre quand il entend savoir ce qui se passe autour de lui. Et il veut tout savoir pour tout diriger.

 Il s’approche de moi alors que je pénètre dans son bureau. Au contraire de François Mitterrand ou de Valéry Giscard d’Estaing, il refuse toute solennité en privé et ne pose pas. Il n’est que mouvement et agitation.

 Un corps sans repos qui ne doit guère l’inciter à la méditation. Chez lui, l’action et la réflexion se confondent.

 Loin des adeptes du « je pense donc je suis », il appartient à la famille des « je pense donc j’agis ». Il a déjà ce tic qui ne le quitte plus, un bref mouvement d’épaule, comme si sa veste glissait sans cesse. Il avance en masse, pareil à un boxeur engageant son combat. Compact, bourré de testostérone. Le sourcil en barre noire. Le front plissé, les rides en tempête. Je ne le sens pas sous tension, il fait l’amical, et pourtant il n’est que contraction. Il m’indique un fauteuil et se détourne aussitôt pour aller fermer la porte-fenêtre qui donne sur le jardin.

 Puis il se retourne brusquement et m’apostrophe sans détour : 

« Alors, qu’est-ce qui se passe ? »

II engage son premier round mais, sincèrement, je ne sais pas pourquoi il me bouscule ainsi et j’ignore ce que sous-tend son interrogation agressive. Je lui lance un regard étonné. Il répète ;

« Allez, qu’est-ce qui se passe ? »

Mon incompréhension est totale, et je la confesse :

« Quoi, qu’est-ce qui se passe ?

— Ne fais pas l’imbécile ! Qu’est-ce qui se passe ? »

II recourt au tutoiement qu’il affectionne et que je lui retourne tout simplement parce qu’il est plus jeune que moi et que je n’entends pas lui laisser cet avantage de la familiarité pour me dominer. Je ne fais pas l’imbécile et je lui mets les points sur les i :

«Je ne comprends vraiment rien à ta question. De quoi veux-tu parler ? »

II s’assied sur un fauteuil face à moi, pose les coudes sur ses cuisses, la tête en avant, quartanier entêté qui pense que tout est combine, parties de billard à plusieurs bandes, manigances secrètes, complots en tous genres. Il fonce parce qu’il pense qu’il faut frapper dur quand on veut débusquer la vérité : Pourquoi veux-tu quitter L’Express »

 Sarkozy tel qu’en lui-même, superflic qui entend tout connaître et comprendre pour manœuvrer sans commettre d’erreurs fatales. C’était donc ça, son urgence !

 D’où tient-il cette histoire ? Il a dû laisser traîner son museau dans les poubelles. En une phrase, il vient de m’en dire beaucoup plus sur lui-même qu’au cours des vingt dernières années. Il a tendu un tamis sous la société française, Fouché des temps modernes cherchant à obtenir avant les autres cette matière première essentielle qu’est l’information. Ainsi peut-il jouer avec un coup d’avance. L’Express est un pion dans sa conquête, il lui faut donc peser sur ma succession pour être sûr de circonvenir ce journal par la suite.

 À vrai dire, sur le coup, ma réflexion sur son irruption dans mes choix professionnels fut plus simple. J’étais sidéré et, réflexe journalistique, avide de savoir d’où il tenait cette information en fait exacte : j’envisageais bel et bien de quitter L’Express car je voulais me remettre en cause pour retrouver une forme de liberté, et, donc, de jeunesse. Je pense lui avoir dit alors :

 « D’où tiens-tu ça ? » II ne me répond pas. Maintenant qu’il a une confirmation, il cherche d’abord une explication à ma démarche :

« Pourquoi veux-tu partir ?

— Dix ans, ça suffit, j’ai envie d’autres aventures, de nouveaux défis. »

 II s’agite sur son fauteuil et s’échauffe : « Je te comprends. Tu sais, dans un an, je serai élu président de la République, ça ne fait aucun doute. Mais j’étonnerai tout le monde. Je transformerai le pays en un immense chantier et je n’effectuerai qu’un mandat. Après, je ferai du fric. C’est l’histoire qui me rendra grâce. »

 Cet homme croit toujours ce qu’il dit quand il le dit.  Il n’a pas le moindre recul sur ses certitudes de l’instant.  Cette pulsion fait sa force. Ensuite, il passe à autre chose et change de sujet et d’avis. Il avance par convictions successives en ne songeant qu’à lui. Pour cet égocentrique, les autres ne sont que des marionnettes. J’en étais une ce jour-là. Il se moquait bien de mon destin, c’était la suite à L’Express qui l’intéressait et dont il voulait se mêler. Cependant, je ne pouvais partir sans savoir comment il avait appris ou découvert mes intentions. Il finit par cracher le morceau. Il s’était levé pour me signifier que l’entretien était terminé. Sans me regarder, il me confia :  « C’est Serge Dassault [alors propriétaire de L’Express} qui est venu m’en parler. »

 Quand il devient vraiment sûr de lui, manie d’avocat peut-être, Nicolas Sarkozy parle trop et commet des erreurs. Il venait d’abattre ses cartes, d’avouer sa religion de la collusion, de dévoiler son obsession des médias et son besoin frénétique d’en tirer les ficelles. L’indépendance des journaux le fait rire sous cape ou l’enragé, tant il est convaincu que la politique exige aussi de manipuler la presse. Il imagine que tous ses adversaires agissent ainsi. Dans le caniveau. C’est pour cette raison qu’il passe son temps à dénigrer ceux qui ne lui font pas allégeance, ne respectant rien ni personne, car il se moque également de ses fidèles qu’il transforme au gré de ses humeurs et de ses faux pas en boucs émissaires.

 Ces vingt minutes m’ont appris tout cela sur lui. La touche finale de cet entretien qu’il avait provoqué fut à l’unisson :

« Pourquoi veux-tu aller dans l’édition ? »

Ultime question, ultime aveu. M’avait-il mis sur écoute pour savoir ce secret ? Non seulement personne n’était au courant, mais rien n’était fait. J’étais las de diriger des journaux et j’aspirais à revenir à l’écriture.

 J’avais été approché pour prendre la présidence des éditions du Seuil, mais je n étais pas encore décidé. Je ne voulais pas quitter L’Express avant d’avoir poussé son propriétaire Serge Dassault à le céder à d’autres actionnaires, car j’étais convaincu que mes successeurs ne sauraient pas résister aux pressions répétées de l’avionneur. En ce mois de février 2006, d’ailleurs, les choses semblaient devoir durer longtemps encore. J’avais surtout soif de cette liberté que Nicolas Sarkozy n’aime guère chez les autres et n’admet que pour lui-même. Tout individu qui peut croiser son chemin doit être sous sa coupe ou sa menace.

 Il me salua, sans doute satisfait de son numéro plein d’arrogance. Il m’avait montré son pouvoir comme on montre ses biscoteaux à l’école pour prouver qu’on est plus balèze que ses petits copains. Enfantillage d’adolescent et d’impudent qui ne rougit de rien. Depuis lors, je ne l’ai revu que trois fois. Brièvement. Juste le temps de me convaincre que ses traits de caractère se sont aggravés. Au vrai, cet homme souffre d’un mal aussi profond qu’incurable : il n’aime pas les autres, mais ne supporte pas que les autres ne l’aiment pas. Il veut être Napoléon, il ne sera sans doute qu’un Jérôme Bonaparte, « Fifî » de Westphalie. « Quelques-uns naissent dans la grandeur, d’autres conquièrent la grandeur et elle se donne librement à certains autres », écrivit Shakespeare qui aurait dû ajouter : « D’autres encore n’y parviennent jamais. »

 La dureté des temps offre, aujourd’hui, à Nicolas Sarkozy un passage étroit vers la grandeur. Dans ce défilé des Thermopyles qu’est la crise économique, il lui faudrait devenir un Spartiate capable de sacrifier son destin immédiat au devenir de la France. S’il passait du bling-bling à l’abnégation, il écrirait une légende. Qui peut l’imaginer ?

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