Piketty : le crédit d’impôts, «ça manque d’ambition et c’est illisible»
6 novembre 2012 à 12:48
Recueilli par DOMINIQUE ALBERTINI
Le gouvernement a tranché : pas de diminution des cotisations sociales pour les entreprises, comme le prônait le rapport Gallois, mais un crédit d’impôt proportionnel à leur masse salariale. Un choix qui agace l’économiste Thomas Piketty, proche du PS, selon qui elle complexifie le système fiscal et élude la question du financement de la Sécurité sociale. (Photo Mehdi Fedouach. AFP)
Que pensez-vous du dispositif annoncé par Jean-Marc Ayrault pour donner de nouvelles marges aux entreprises ?
Cela manque d’ambition, c’est illisible, c’est une couche de complexité supplémentaire sur un système fiscal déjà très complexe. La seule raison de procéder ainsi plutôt que par une diminution des cotisations sociales, c’est de reporter l’effort budgétaire de l’Etat à 2014 [le versement aux entreprises intervenant l’année suivant la déclaration d’impôt, ndlr]. On est simplement dans une volonté de contourner l’obstacle.
Quel obstacle ?
Au-delà de la question de la compétitivité, il fallait aussi s’attaquer à la structure du financement de la Sécurité sociale. A l’heure actuelle, les cotisations financent les retraites, le chômage… C’est justifié, car il s’agit de revenus de remplacements, proportionnels à ce que vous avez cotisé. Mais elles financent également l’assurance maladie, la famille, la construction : des dépenses qui n’ont pas à peser sur le travail. Les cotisations patronales représentent 40% d’un salaire, mais 20% seulement sont justifiées. Il faut faire peser le financement de la sécurité sociale sur une assiette plus large que le travail.
Mais la mesure permet-elle d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises ?
Même de ce point de vue, elle passe à côté de son objectif. Elle est complexe, et l’on ne sait rien de sa pérennité. Si l’on veut vraiment agir sur la compétitivité, on a besoin d’y voir clair pendant quelques années. Or, je suspecte que ce choix d’un crédit d’impôt s’explique par la facilité à jouer de cet outil. Par exemple, il sera tentant, à l’avenir, de le moduler, par exemple au profit des entreprises qui ont le plus augmenté la masse salariale d’une année sur l’autre. Mais à l’inverse, si une entreprise diminue ses effectifs, vous n’allez pas augmenter ses impôts. C’est la voie ouverte à une usine à gaz fiscale.
Quelles conséquences sur l’emploi ?
On peut espérer que ces vingt milliards d’euros ne seront pas dépensés en vain. Mais l’efficacité de ce mécanisme sera moindre que celle d’une baisse des cotisations. Je rappelle par ailleurs que l’actuelle majorité a annulé cet été une baisse des cotisations sur les bas salaires et une hausse de la TVA, qu’elle réintroduit aujourd’hui : tout ça pour en arriver là !