«Le socialisme       est une doctrine morte»7 novembre 2012 à 16:28        LIBERATION

Recueilli       par DOMINIQUE       ALBERTINI

«Virage»«tournant»«révolution       copernicienne» pour la       gauche : ainsi la presse qualifie-t-elle les mesures sur la       compétitivité annoncées mardi par       Jean-Marc Ayrault. Et particulièrement la principale d’entre elles : un       crédit d’impôt massif de vingt milliards d’euros au bénéfice des       entreprises, financé notamment par une hausse de la TVA et une réduction       des dépenses publiques.

Pour       l’économiste Bernard Maris, membre du conseil général de la Banque de       France et auteur d’un désabusé Plaidoyer       (impossible) pour les socialistes, paru chez       Albin Michel, ces annonces ne font que confirmer un mouvement entamé de       longue date : l’édulcoration de la doctrine socialiste et sa soumission au       «carcan économique».Après les       dernières annonces sur la compétitivité, avez-vous le sentiment que       François Hollande se soit renié ?

Pas       vraiment. Il avait déjà pris une pente gestionnaire pendant sa campagne,       avec son objectif d’une réduction drastique du déficit budgétaire, qui       relève d’une analyse comptable de l’économie. De toute façon, les       socialistes sont de farouches défenseurs des entrepreneurs depuis Edith       Cresson [Premier       ministre de François Mitterrand en 1991-1992, ndlr]. Il est       faux de dire qu’il y a une haine entre eux. L’actuel gouvernement estime       que la compétitivité dépend du coût du travail. C’est une analyse typique       de la droite, qui considère le travail, non pas comme un investissement,       mais comme une charge. La hausse de la TVA, dont on voit mal la différence       avec la TVA sociale de Nicolas Sarkozy, va dans le même       sens.

Cette       préférence pour une politique de l’offre, et pas de stimulation de la       demande, est-elle inédite pour le PS ?

Selon moi, le tournant remonte       tout de même à la rigueur décidée par François Mitterrand en 1983. A
partir de cette date, il se plie à la mondialisation et à l’exigence de       concurrence libre et non faussée. Pour sa réélection, en 1988, Mitterrand       rédige d’ailleurs une «lettre à tous les Français» dont les considérations       sur la compétitivité pourraient être réutilisées à la virgule près       aujourd’hui.

Le rôle de       Pierre Bérégovoy [ministre       de l’Economie, puis Premier ministre entre 1988 et       1993] a été considérable dans la financiarisation de       l’économie française. Avant lui, Jacques Delors avait commencé avec sa       politique du franc fort. Le PS de Jospin, avec ses privatisations, et       d’aujourd’hui, est en plein dans cette ligne. Malgré quelques retours de       flamme doctrinaux, comme les 35 heures, dont ses concepteurs ont presque       eu honte de dire qu’ils les inscrivaient dans la tradition d’un Léon       Blum.

Une autre       politique est-elle encore possible dans le cadre des engagements européens       de la France, tels que le traité budgétaire et sa limite du déficit à 3%       ?

Sur la macro-économie,       effectivement, le PS ne peut pas faire très différemment. On ne peut pas       se battre avec des sagaies contre des tanks. La métaphore de la guerre       économique est plutôt bonne. Le PS n’a pas le choix, mais ce n’est pas du       socialisme, c’est pour ça que je ne lui en veut pas trop. Il vit sur une       doctrine édulcorée, apprivoisée, soumise au carcan économique. C’est une       doctrine morte. Elle a accompli l’essentiel de sa tâche en 1945, avec le       programme du Conseil national de la Résistance. D’autres avancées ont       suivi, mais le plus gros était fait. Depuis, les socialistes ne font qu’un       travail de résistance à la dégradation de l’Etat-providence, pas de       proposition.

N’y a-t-il plus       aucune différence avec la droite ? Et avec les partis sociaux-libéraux       allemands ou britanniques ?

La droite s’est peu à peu       «socialisée», et on assiste donc à une convergence des deux doctrines. Le       RSA, le revenu minimum d’existence, la croissance verte, le mariage       homosexuel… Je suis convaincu que n’importe quel homme de droite avec un       peu de bon sens pourrait reprendre ces mesures à son compte. Avec les       autres partis sociaux-démocrates d’Europe, il y a toujours une différence       rhétorique; mais ce sont les actes qui comptent, pas les envolées       lyriques. On se rapproche d’eux à petit pas, et on n’en était déjà pas       loin avec Delors et Bérégovoy.

Quelle       alternative à ce socialisme à gauche ?

A titre personnel, je me raccroche       au courant écologiste décroissant. Après la guerre, le libéralisme a       triomphé en proposant un mode de gestion de la violence fondé sur le       libre-échange : on ferait du commerce au lieu de faire la guerre.       Socialistes et communistes proposaient un autre contrat, fondé sur le       partage, mais toujours avec l’abondance matérielle en ligne de mire. Il       faut maintenant aller vers une abondance spirituelle, avec un contrat       fondé sur l’intelligence et la recherche. Mais le socialisme reste pris       dans le maelstrom productiviste.

 

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