du bon bilan des 35h, pour aller à la semaine des 4 jours et de 32h!

Les 35 heures n’ont pas entamé la       compétitivité des entreprises et les performances économiques françaises.       Ni dégradé les finances publiques.

Il y a deux ans,       c’était le dixième anniversaire de l’instauration, par un gouvernement de       gauche, des 35 heures en France. Dans quelques semaines, nous fêterons les       dix ans d’une critique récurrente, par un gouvernement de droite, de cette       mesure qui, malgré les nombreux assouplissements intervenus depuis (voir       encadré), resterait la cause principale des difficultés rencontrées par       l’économie française. Les lois dites  » Aubry « , qui ont mis en place       progressivement la semaine de 35 heures en France entre 1998 et 2002,       ont-elles réellement détérioré la compétitivité des entreprises françaises       et engendré des destructions d’emplois ? La France a-t-elle enregistré,       depuis, un recul particulier de ses performances économiques par rapport à       ses partenaires européens ? Et les finances publiques ont-elles été       plombées par ces lois ? L’examen dépassionné des données économiques et       les comparaisons internationales fournissent une réponse négative à ces       questions.

Des performances économiques       records

En excluant de       l’analyse la grande récession récente, l’activité dans le secteur privé en       France a crû en moyenne de 2,1 % par an au cours des trente dernières       années. Mais depuis la mise en place des 35 heures, loin de s’effondrer,       la croissance de l’activité dans ce secteur s’est au contraire accélérée,       passant de 1,8 % par an en moyenne avant 1997 à 2,6 % après. Avec même un       pic au cours de la période de mise en place des 35 heures (2,9 % entre       1998 et 2002 en moyenne annuelle). Dans le top 5 des meilleures années       qu’ait connu le secteur privé français depuis trente ans, trois se situent       durant la période 1998-2002 selon le critère de la croissance économique       et quatre si on retient celui des créations d’emplois. Le contexte       économique mondial explique une partie de ces bonnes performances, mais       une partie seulement : la demande étrangère adressée à la France a certes       été plus dynamique après 1997 qu’avant, mais cette accélération ne s’est       pas démentie après 2002. Et, par conséquent, elle ne peut être un élément       explicatif des performances enregistrées entre 1998 et       2002.

Dix ans d’assouplissement des 35       heures

Depuis 2002, de       nombreux textes ont eu comme objectif d' » assouplir  » les 35 heures. La       loi du 17 janvier 2003, dite Fillon, comportait deux volets principaux. En       augmentant le contingent d’heures supplémentaire de 130 à 180 heures,       cette loi permet aux entreprises d’y avoir recours de façon structurelle à       hauteur de quatre heures supplémentaires par semaine sur toute l’année.       Cela permettait aux entreprises de rester à 39 heures si elles le       souhaitaient. Les branches avaient même la capacité de négocier un       contingent d’heures supplémentaires encore supérieur. Un décret du 9       décembre 2004 a d’ailleurs porté ensuite ce contingent réglementaire       d’heures supplémentaires à 220 heures par an.

Dans le même       temps, la loi de 2003 réduisait le coût pour l’entreprise de ces heures       supplémentaires. Dans les entreprises de 20 salariés et moins, elles ne       sont comptabilisées qu’à partir de la 37e heure, et le taux de majoration       n’est que de 10 %. Pour les autres, il pourra être négocié entre 10 % et       25 % par un accord de branche. Par ailleurs, les dispositifs d’allégement       des cotisations sociales employeurs introduits par les lois  » Aubry  »       étaient désormais déconnectés de la durée du travail. L’ensemble des       entreprises, qu’elles soient passées à 35 heures ou non, en       bénéficient.

L’autre mesure       phare a été la défiscalisation des heures supplémentaires en 2007. Elle       comporte plusieurs volets. Tout d’abord, une réduction forfaitaire des       charges patronales de 1,50 euros par heure supplémentaire est introduite       pour les entreprises de moins de 20 salariés et de 0,50 euros pour les       entreprises de plus de 20 salariés. La majoration des heures       supplémentaires est portée à 25 % au minimum dans toutes les entreprises.       Les salariés sont exonérés d’impôt sur le revenu pour les rémunérations       versées au titre des heures supplémentaires dans la limite d’une       majoration horaire de 25 %. Enfin, les charges salariales égales au       montant de la CSG, CRDS, ainsi que de toutes les cotisations légales et       conventionnelles sont, elles aussi, supprimées.

De plus, depuis       la mise en place des 35 heures, les performances françaises ont été       meilleures que celles enregistrées dans le reste de la zone euro, et       notamment celles de nos deux principaux partenaires, l’Allemagne et       l’Italie. Ainsi, durant la décennie 1998-2007, la croissance française a       été supérieure d’un point à celle de l’Italie et de 0,8 point à celle de       l’Allemagne en moyenne annuelle.

Au cours de cette       période, les agents économiques français, entreprises et ménages, ont       dépensé plus que leurs homologues allemands ou italiens. En progressant de       0,8 % en moyenne annuelle, les dépenses d’investissement des entreprises       ont été nettement plus dynamiques à Paris qu’à Berlin (0,3 %) ou à Rome       (0,5 %). Les ménages français ont également contribué à ces bonnes       performances : leur consommation a progressé en moyenne annuelle de 1,4 %       dans l’Hexagone, contre respectivement 0,4 % et 0,9 % en Allemagne et en       Italie. De plus, le maintien d’une consommation dynamique en France ne       résulte pas du fait que les ménages seraient devenus  » cigales  » : leur       taux d’épargne est non seulement plus élevé qu’ailleurs en Europe, mais il       a également plus augmenté depuis 1998. Cette bonne tenue de la       consommation résulte surtout du dynamisme des créations d’emplois en       France, notamment lorsqu’on le compare à celles enregistrées outre-Rhin       (voir tableau).

Des coûts salariaux       maîtrisés

L’Hexagone est       aussi, parmi les grands pays, l’un de ceux qui a le plus réduit ses coûts       salariaux unitaires (l’évolution du coût du travail corrigée de celle de       la productivité, le juge de paix de la compétitivité coût d’une économie)       dans le secteur manufacturier au cours la période 1997-2002. Seule       l’Allemagne fait mieux que la France au cours de cette période. Cette       amélioration est d’autant plus remarquable qu’elle s’est déroulée malgré       une évolution du taux de change effectif (*) légèrement défavorable. La       mise en place des lois Aubry n’a donc pas engendré de baisse de la       compétitivité de l’économie française : l’augmentation du salaire horaire       lié au passage aux 35 heures a été compensée par la modération salariale,       une organisation temporelle plus flexible qui a permis l’amélioration de       la productivité horaire du travail et la suppression du paiement d’heures       supplémentaires ; et, enfin, l’aide de l’Etat, sous la forme de baisse des       cotisations sociales, a amorti le choc.

Entre 1997 et       2002, en maîtrisant ses coûts salariaux mieux que la plupart des pays       européens et des pays anglo-saxons, la France a amélioré sa       compétitivité-prix et gagné des parts de marché (voir graphique       ci-dessus). Le poids des exportations françaises dans le commerce mondial,       soutenues par la faiblesse de l’euro et la modération salariale, avait       atteint un point haut en 2001.

Depuis 2002,       Paris a connu en revanche une lourde chute de ses parts de marché.       Principalement pour deux raisons : d’abord, une perte de       compétitivité-prix des exportations françaises consécutive à       l’appréciation du taux de change effectif de l’euro ; ensuite,       l’engagement d’une politique de réduction drastique des coûts de       production par Berlin. Ainsi, engagée depuis 2002 dans une thérapie visant       l’amélioration de l’offre par la restriction des revenus et des transferts       sociaux (réformes Hartz, TVA sociale), l’Allemagne a vu ses coûts       salariaux unitaires diminuer en niveau absolu, mais aussi relativement à       ses autres partenaires européens, dont la France. Cette politique explique       environ 30 % des pertes de parts de marché françaises enregistrées au       cours de la période 2002-2007.

Mais ces pertes       ne sont pas une spécificité hexagonale. La politique menée par Berlin lui       a permis de gagner des parts de marché aux dépens de tous les pays qui lui       sont géographiquement et structurellement proches, autrement dit les       grands pays européens. Et à cet égard, la France n’est pas celui qui       souffre le plus : l’Italie a subi des pertes nettement supérieures encore       au cours de cette période. Cela s’explique en grande partie par le       comportement des exportateurs français, qui ont réduit leurs marges à       l’exportation en limitant la hausse de leurs prix au cours des dernières       années. Alors que les exportateurs italiens ont davantage laissé les prix       à l’exportation augmenter. D’où des pertes de parts de marché près de deux       fois supérieures pour l’Italie que pour la France depuis le début des       années 2000 (voir graphique).

Un coût limité pour les finances       publiques

Une autre       critique récurrente – le coût des 35 heures pour les finances publiques –       ne résiste guère, elle non plus, à l’examen. Depuis la mise en place des       lois Aubry, les allégements de charges sur les bas salaires coûtent en       moyenne 22 milliards d’euros par an aux administrations publiques. Mais       cette somme n’est pas liée uniquement aux 35 heures puisque d’autres       dispositifs d’exonération existaient auparavant, instaurés par les       gouvernements Balladur puis Juppé au début des années 1990. Le supplément       d’allégements engendré par les lois Aubry, pérennisé ensuite par le       dispositif  » Fillon  » (ils ne sont toutefois plus conditionnés depuis lors       à la durée du travail), s’élève à près de 12,5 milliards d’euros par       an.

Cette somme ne       représente cependant pas non plus le coût réel des 35 heures pour les       finances publiques. En effet, les lois Aubry ont créé 350 000 emplois       selon le bilan officiel dressé par la Dares et repris par l’Insee : ces       créations d’emplois ont engendré 4 milliards d’euros de cotisations       sociales supplémentaires par an. Elles ont permis également de diminuer le       nombre de chômeurs et, par ce biais, de réduire les prestations chômage à       hauteur de 1,8 milliard d’euros. Enfin, elles ont stimulé le revenu des       ménages et donc leur consommation, engendrant un surcroît de recettes       fiscales (TVA, impôt sur le revenu…) d’un montant qu’on peut estimer à 3,7       milliards d’euros. Au total, une fois le bouclage macroéconomique pris en       compte, le surcoût de ces allégements ne s’élève donc plus qu’à 3       milliards d’euros annuels, soit 0,15 point de produit intérieur brut       (PIB). Significativement moins que les 4,3 milliards d’euros dépensés       chaque année depuis 2007 pour inciter les salariés à effectuer des heures       supplémentaires…

Une France toujours       attractive

Enfin, les 35       heures n’ont pas eu non plus d’effet négatif sur l’attractivité du pays,       si on en juge par les flux d’investissements directs étrangers (IDE). Dans       un contexte de globalisation financière croissante, la France a amélioré       sa position depuis : alors qu’elle figurait en sixième place en tant que       pays d’accueil de ces investissements étrangers nets au cours des années       1980, attirant moins de 4 % de l’ensemble des IDE, elle occupe       régulièrement depuis 2002 la troisième place, derrière la Chine et les       Etats-Unis, avec près de 8 % des IDE mondiaux.

En revanche, il y       a bien un point noir dans le bilan des 35 heures : la fonction publique.       La volonté d’abaisser le temps de travail sans procéder à des embauches en       contrepartie a incontestablement eu des conséquences négatives, en       particulier dans le secteur hospitalier. Mais du côté du secteur       concurrentiel, l’examen des données économiques ne permet pas de       corroborer la thèse selon laquelle les 35 heures auraient plombé       l’économie française.

* Taux de change       effectif : taux de change d’une zone monétaire, mesuré comme une somme       pondérée des taux de change avec les différents partenaires commerciaux et       concurrents. Une appréciation du taux de change, de l’euro par rapport au       dollar, par exemple, affecte la compétitivité à l’exportation et à       l’importation de la zone.

Eric Heyer,       directeur adjoint au Département analyse et prévision de l’OFCE       Alternatives       Economiques Hors-série n° 092 – février       2012

 

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