Sécheresse aux USA et en Russie : le système alimentaire mondial fragilisé

La sécheresse aux Etats-Unis et en Russie, gros pays exportateurs, entraîne une flambée des prix des céréales dans le monde faisant planer la menace des émeutes de la faim de 2008. Alors que la famine sévit déjà en Afrique au Sahel, la spéculation sur les marchés agricoles est de nouveau pointée.

La sécheresse historique que connaissent les Etats-Unis depuis juin s’est aggravée dans la « Corn Belt » (Middle West), la « ceinture » des Etats producteurs de maïs situés dans le centre et centre-est du pays  (Illinois, Iowa, Missouri, Indiana, Arkansas, Kansas et Nebraska) mais aussi une partie du Wyoming (ouest) et du Dakota du Sud (centre-ouest), a annoncé le 26 juillet dans un communiqué Brian Fuchs, climatologue au Centre américain de surveillance de la sécheresse.

Plus de la moitié des USA touchée par la sécheresse

Cette sécheresse la plus grave depuis 1956 frappe désormais 60% des Etats Unis – premier producteur mondial de soja et de maïs et premier exportateur de blé – et pourrait durer encore jusqu’en octobre, estime le service météorologique américain (NOAA). En seulement une semaine, les zones touchées dans neuf Etats du Midwest par une sécheresse classée « extrême ou exceptionnelle » ont quasi-triplé, a précisé Brian Fuchs. Or, les trois quarts du maïs et du soja américains sont produits dans ces Etats.

Si de faibles précipitations sont attendues cet été, les conditions de forte chaleur ne devraient pas s’améliorer à court terme. « Les prévisions météorologiques annoncent la poursuite des conditions chaudes et sèches jusqu’à la fin du mois d’août. Ces conditions pourraient persister à l’automne », a prévenu Brian Fuchs.   Plus de la moitié de la superficie des Etats-Unis est en état de sécheresse modérée ou plus importante, « un record pour la quatrième semaine consécutive en 12 ans d’existence du programme de suivi de la sécheresse », a souligné le Centre de surveillance. Pas moins de 26 Etats ont déjà été déclarés le 18 juillet en état de catastrophe naturelle par le secrétaire américain à l’agriculture, Tom Vilsack. Quatorze de ces États dont ceux du Middle West, outre le Colorado et l’Oklahoma (sud du pays) en proie à des incendies, seraient touchés de manière exceptionnelle.

Pics des prix des céréales et inflation

Cette situation de sécheresse est des plus inquiétante au niveau local et mondial. Les prévisions de récoltes aux USA pour la campagne 2012/2013, déjà revue à la baisse par le département américain de l’Agriculture – pour le maïs (-46 millions de tonnes) et le blé (-6,7 millions) – pèse sur la flambée des prix des matières premières agricoles. La canicule actuelle qui a déjà des effets dévastateurs sur les agriculteurs impactera encore l’an prochain les consommateurs finaux qui pourraient payer en 2013 leurs provisions 3 à 4 % plus cher, selon les dernières estimations du département américain de l’agriculture. « Les effets commencent à se faire ressentir au niveau des fermes. Mais cela peut prendre entre deux et douze mois pour se diffuser dans toute la chaîne. Il y aura donc sûrement des conséquences (sur les prix) dès l’automne dans les épiceries ou les restaurants, puis plus tard dans l’année et jusqu’en 2013″, a expliqué à l’AFP Ephraim Leibtag, du service de recherche économique.

La canicule impactant le leader mondial pousse depuis mi-juin les prix des céréales vers des niveaux jamais atteints à la bourse de Chicago et des marchés internationaux. Des prix qui risquent encore de gonfler d’ici fin 2012. En un mois, les prix du maïs – la céréale la plus échangée – du blé et du soja se sont ainsi  envolés de 30 voire 50%, atteignant ou dépassant leur niveau de 2007-2008 présageant un retour funeste des « émeutes de la faim » en Afrique. « Avec des conditions climatiques défavorables, les perspectives d’une amélioration de l’offre de maïs s’amenuisent« , a prévenu le 5 juillet l’Organisation onusienne pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Les spécialistes estiment que le seuil des 10 dollars pourrait être dépassé prochainement à Chicago concernant le boisseau de maïs clôturé vendredi 20 juillet à 7,43 dollars, soit une hausse hebdomadaire de 10,5%. Le boisseau de blé à même échéance a fini à 7,91 dollars (+7,1% en une semaine). Le boisseau de soja a lui terminé à 16,19 dollars (+7,1%).

Sur le marché européen Euronext, la situation n’est guère meilleure : la hausse du cours du blé est elle de 32,4%. Ainsi, le contrat de blé tendre plafonnait à 269,75 euros la tonne le 20 juillet tandis que les cours du maïs atteignaient 252,25 euros. La flambée de ces prix est également liée à la sécheresse que connaît aussi la Russie depuis quelques mois dans la région de la Volga (sud-ouest), du sud de l’Oural et à l’ouest de la Sibérie alors que le pays est le troisième exportateur mondial de céréales. La production de blé, sa première culture à l’exportation, est principalement destinée au Moyen-Orient et à l’Afrique faisant planer la menace de crise alimentaire mondiale de 2008…

Vers un retour des émeutes de la faim en Afrique ?

En dépit des cours du riz qui demeurent actuellement « stables », selon la FAO, « les prix des céréales sont aujourd’hui plus élevés qu’en 2008 au moment des émeutes de la faim », a alerté l’ONG humanitaire Oxfam France en rappelant que  »18 millions de personnes sont déjà sous-alimentées dans le Sahel » en Afrique de l’Ouest, en raison également de la sécheresse qui s’étend dans la région depuis début 2012 limitant les récoltes et du conflit au Mali qui a déplacé plus de 300.000 personnes. Les prix alimentaires sont très élevés à travers la région, ce qui complique encore plus l’accès à la nourriture pour les familles démunies. « La production céréalière est en dessous de la moyenne des 5 dernières années en Mauritanie, au Tchad, au Niger et au Burkina Faso », a expliqué le Programme alimentaire mondial (PAM).

« La hausse actuelle des prix est une catastrophe pour les pays d’Afrique de l’Ouest déjà dans une situation désastreuse », a prévenu Malek Triki, porte-parole de l’organisation. Environ 1,6 million de personnes « auront besoin d’une assistance alimentaire » en 2013 au Zimbabwe frappé également de mauvaises récoltes céréalières, selon un rapport du PAM publié le 27 juillet. Quant à la Somalie (Corne d’Afrique), un an après l’état de famine décrété par l’ONU en juillet 2011 dans plusieurs régions et « six mois de crise », la situation « reste critique » et « la poursuite de l’aide est vitale pour préserver la sécurité alimentaire » du pays, a déclaré le 20 juillet la FAO.

La fin de la spéculation en faveur des agrocarburants, l’arlésienne

Avec des cours des céréales qui explosent, les exportations de denrées nécessaires vers ces pays vulnérables pourraient à terme être compromises. Le problème de volatilité des prix des matières agricoles et ses conséquences sur les crises alimentaires n’est pas nouveau et pourtant il perdure depuis 2007. « La situation alimentaire est tellement tendue qu’il suffit de n’importe quel aléa dans un grand pays producteur pour que tout bascule et que tout s’emballe. Nous n’avons pas réglé le problème et, pour ne rien arranger, la spéculation est toujours là« , a déclaré à l’AFP Clara Jamart d’Oxfam France.

L’ONG Oxfam et la FAO n’ont pourtant cessé depuis de répéter l’impact de la spéculation « excessive » sur les marchés alimentaires mondiaux pour encourager la production d’agrocarburants de première génération, aux dépens des besoins des populations. « En Europe comme aux Etats-Unis, une part croissante de la production agricole est destinée au marché énergétique, via les agrocarburants. 40% du maïs américain est ainsi aujourd’hui destiné à la production d’agrocarburant. Cette politique entraîne une tension de plus en plus forte sur l’offre alimentaire et tire les prix mondiaux des produits alimentaires vers des sommets. Dans ces conditions, les chocs climatiques se multipliant dans les grands pays céréaliers (Etats-Unis, Ukraine, Russie…), les conséquences sont désastreuses et mettent en péril le droit à l’alimentation de millions de personnes », a souligné dans un communiqué Clara Jamart.

Oxfam France a de nouveau appelé l’Union européenne et les Etats-Unis à « mettre fin aux politiques de quotas d’incorporation d’agrocarburants dans les carburants traditionnels, ainsi qu’aux politiques fiscales » de soutien. Dans un rapport paru en juillet 2011, le groupe d’experts de la FAO sur la sécurité alimentaire demandait également aux gouvernements  »d’abolir leurs objectifs de production » et  »de supprimer les subventions ». La taxation des agrocarburants pourrait également  »devenir une solution nécessaire pour maintenir un minimum de stabilité sur le marché international des aliments », préconisait la FAO.

G20 : le Forum de réaction rapide bientôt mobilisé

Aux côtés des experts de la FAO, l’ONG Oxfam exhorte aussi les gouvernements à enrayer la spéculation via la régulation des marchés agricoles. Lors du G20 agricole de juin 2011 tenu à Paris à l’initiative de la France (second exportateur mondial de blé), les vingt plus grandes économies – qui représentent à elles seules 85% de la production mondiale de céréales et de soja – avaient trouvé un accord sur un plan d’action pour lutter contre la volatilité des prix agricoles et la faim. La création d’un Forum de réaction rapide avait été décidée avec pour mission de promouvoir « la cohérence et la coordination politiques en temps de crise ».

« La forte augmentation des prix des céréales et du soja devient une préoccupation majeure au plan mondial. La situation actuelle mérite vigilance et prudence : vigilance pour suivre l’évolution des marchés mais aussi prudence pour ne pas alimenter les mouvements spéculatifs », a alerté le 28 juillet dans un communiqué le ministre français de l’Agriculture Stéphane Le Foll qui préside le système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) et le Forum de réaction rapide mis en place par le G20. En cas « d’aggravation de la situation aux États-Unis et en Russie et de dégradation de la situation des marchés », le Forum de réaction rapide composé des principaux pays producteurs « pourrait se prononcer d’une part sur les actions à encourager afin de soulager les tensions, d’autre part sur celles à éviter pour ne pas les accentuer », a annoncé le ministère. Stéphane Le Foll pourrait prochainement convoquer une réunion informelle du Forum de réaction rapide « si la situation l’impose », ajoute-t-il.

Rachida Boughriet

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