16 JUILLET 2012, Lettre de Kyôto, par Marc Humbert

16 juillet 2012 par Paul Jorion

Billet invité.

Le 16 juillet plus de 170 000 personnes se sont rassemblées au parc de Yoyogi, elles ont écouté en particulier le prix Nobel Kenzaburô Ôé demandant que le gouvernement prenne en compte la volonté du peuple japonais d’en finir avec l’énergie nucléaire. Elles se sont ensuite réparties en plusieurs cortèges pour sillonner quelques quartiers de la ville.

Tous les sondages montrent qu’au moins les deux tiers des Japonais sont en effet en faveur de la sortie du nucléaire. Un certain nombre d’intellectuels et de personnalités du monde de l’art et du spectacle ont lancé une pétition pour en finir avec l’énergie nucléaire, cette pétition a déjà recueilli presque 8 millions de signatures. La TV publique n’a pas déployé d’hélicoptère pour couvrir cette manifestation parmi les plus importantes depuis plus de 40 ans au Japon : l’élite politique et économique préfère ne pas écouter et ne pas voir. Quelques télés privées ont cependant bien couvert l’évènement et la télé TBS a fait un reportage assez long ; elle a donné à voir et à écouter des passages des discours de Kenzaburô Ôé et de Ryuichi Sakamoto. Ce Japonais compositeur, musicien et acteur célèbre vivant à New-York était venu organiser un concert collectif à Tokyo pour promouvoir la fin du nucléaire. Depuis début juin tous les vendredi des dizaines de milliers de personnes se rassemblent le soir près des bureaux du premier ministre pour demander l’arrêt du nucléaire et elles ont l’intention de poursuivre jusqu’à ce qu’il les écoutent.

Après l’accident de Fukushima, les centrales nucléaires ont été arrêtées les unes après les autres selon le programme habituel de maintenance. Toutefois aucune n’avait été remise en route depuis la catastrophe du 11 mars 2011, les autorités locales s’y opposant et le gouvernement ne poussant pas à la reprise. Au 5 mai 2012, plus aucune centrale nucléaire n’était en activité et le Japon produisait autrement son électricité. Le gouvernement a dit craindre que l’on manque d’électricité indispensable pour les hôpitaux et les usines lors de la période de chaleur d’été et a fait avec le patronat japonais des pressions de plus en plus fortes à partir d’avril pour remettre en route en particulier deux centrales d’Oi dans le département de Fukui. Celles-ci ont été effectivement réactivées malgré l’opposition de la majorité de la population. La municipalité locale en revanche s’est dite favorable au redémarrage : elle tire 60% de son budget de subventions fournies en échange de l’acceptation du fonctionnement des centrales et une grande partie des emplois locaux sont liés à l’activité de ces centrales.

Nulle part dans le pays, dans nulle instance gouvernementale, il n’est envisagé ce qui pourrait être fait pour fonctionner autrement qu’au nucléaire ; ni en général, par ce qui serait un grand programme de promotion d’énergies alternatives, ni en particulier, pour promouvoir de nouvelles sources de revenu pour les municipalités qui en sont dépendantes. L’effort gouvernemental est focalisé sur la restauration de la confiance du peuple dans le gouvernement et dans l’industrie du nucléaire, sur la démonstration que l’accident était évitable et sera évité à l’avenir. Un rapport supposé impartial (par la commission Kurokawa) vient de montrer que c’est la manière japonaise de fonctionner qui avait été responsable de ce qui s’est passé, et par conséquent il n’y a donc pas à envisager de faire des reproches ou de prendre des sanctions à l’égard de quiconque. L’objectif du gouvernement est de persuader que les centrales nucléaires vont redevenir sûres et fourniront l’électricité « verte » et nécessaire, au meilleur prix et qu’en sus l’industrie nucléaire sera exportatrice pour le bénéfice de la croissance économique nationale et le bien-être de la population.

Dans les zones irradiées, les autorités prétendent décontaminer ; officiellement les zones d’exclusion totales sont celles à plus de 50 millisieverts par an ; pour les zones entre 20 et 50 millisieverts l’exclusion n’est pas totale, elle est conseillée pour les enfants. En dessous de 20 millisieverts la population est tenue de pouvoir habiter sans crainte pour sa santé. En combien de temps ces niveaux peuvent baisser ? Les normes habituelles que le Japon respecte officiellement pour les travailleurs du nucléaire sont les suivantes : 50 millisieverts par an ou 100 millisieverts sur 5 ans. Un Japonais vivant dans une zone à 20 millisieverts par an est donc soumis au régime des travailleurs du nucléaire, sans qu’il soit bien certain qu’au bout de 5 ans la radioactivité ait baissé. Si ce n’est pas le cas il devra encaisser plus qu’un travailleur du nucléaire. En outre à cette exposition externe il faut ajouter le fait qu’il ingère vraisemblablement de la radioactivité avec son alimentation.

Le gouvernement japonais avait déclaré le 16 décembre 2011 que la centrale accidentée était maintenant en arrêt « froid » et que bientôt autour de la centrale elle-même, il n’y aurait plus qu’une radioactivité à moins de I millisievert par an, ce qui est conforme à ce que recommandent les normes internationales. Six mois après cette déclaration, j’étais le 2 juillet 2012 à Fukushima, à 63 km de la centrale. Sur le sol juste à côté du bâtiment de la préfecture de Fukushima mon radiamètre indiquait 1,4microsievert/heure soit plus de 12 millisieverts par an (en multipliant le chiffre observé par les 8765 heures que compte une année). En face de l’entrée du bâtiment, à un mètre au-dessus du sol en revêtement genre béton : 0,47 microsieverts par heure, soit 4,3 millisieverts par an. Bref une proportion élevée des presque 2 millions d’habitants de la préfecture doivent vivre « normalement » dans une atmosphère radioactive bien supérieure à la norme attendue autour d’une centrale nucléaire.

Après Hiroshima, est-ce que les Japonais ne seraient pas à nouveau des cobayes pour que l’on puisse cette fois bien tester in vivo quels sont les impacts sur la santé de l’exposition de longue durée à des radiations de relativement faible importance ?

Que peut-on faire pour soutenir le peuple japonais ? Pour le moins signer la pétition : le texte anglais est disponible : http://sayonara-nukes.org/english/

Une première liste a été remise par Oé au premier ministre le 15 juin mais sa signature continue. Elle peut être signée par des non-japonais vivant hors du Japon, elle doit porter le nom et prénom et l’adresse dans la langue maternelle et adressée au premier ministre : M. Noda, Premier ministre, Cabinet Secretariat, Cabinet Public Relations Office, 1-6-1 Nagata-cho, Chiyoda-ku, Tokyo 100 – 8968, Japan

Ou à défaut au comité qui s’en occupe : Citizens’ Committee for the 10 Million People’s Petition to say Goodbye to Nuclear Power Plants

c/o Gensuikin, 1F 3-2-11 Kanda Surugadai, Chiyoda-ku, Tokyo 101-0062, JAPAN

Merci à ceux qui pensent comme Ryuichi Sakamoto que « c’est ridicule de risquer la vie des gens pour de l’électricité. La vie est plus importante que l’argent. Keeping silent after Fukushima is barbaric (Il a prononcé ces mots en anglais Rester silencieux après Fukushima c’est être un barbare) »

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