Le « lobby nucléaire » existe à gauche comme à droite

 

Le « lobby nucléaire » existe à gauche comme à droite

LEMONDE.FR | 15.03.11 | 18h06  •  Mis à jour le 15.03.11 | 19h02

« L’histoire du lobby nucléaire est un mythe absolu… S’il existe je ne l’ai jamais rencontré. » Cette phrase, prononcée mardi 15 mars au micro de RTL par le ministre de l’industrie, Eric Besson fait rire Christophe Caresche, député de Paris et membre de la tendance écologiste du Parti socialiste. « D’autres l’ont rencontré, en tous cas, ce lobby. Et cela m’étonnerait que M. Besson ne l’ai jamais croisé », s’amuse l’élu, contacté par Le Monde.fr.

La pique lancée par le socialiste est une allusion à la circonscription qu’occupait Eric Besson, longtemps député-maire de Donzère, petite commune de la Drôme située à quelques kilomètres de la centrale du Tricastin et d’un site d’Areva. Un gisement d’emplois dans la région, mais aussi de ressources financières pour les communes avoisinantes.

En échange, les élus de ces zones sont, le plus souvent, plutôt favorables dans leurs prises de position à la défense de l’énergie nucléaire. Eric Besson est d’ailleurs assimilé par la secrétaire nationale socialiste à l’environnement, Laurence Rossignol, à un « fanatique, un dévôt de la cause nucléariste ». De fait, Eric Besson a défendu à maintes reprises l’intérêt de la filière nucléaire. Il est loin d’être le seul.

Eurodéputée écologiste et surtout fondatrice de la CRII-RAD, un organisme scientifique indépendant qui mesure la radioactivité et informe sur la filière nucléaire, Michèle Rivasi est catégorique :  « Bien entendu qu’il y a un lobby. C’est un ensemble de gens qui sont dans des institutions différentes, dans les cabinets des ministères, mais aussi des anciens du commissariat à l’énergie atomique devenus députés. Dès qu’une critique commence à poindre sur le nucléaire, ils se précipitent pour le défendre. »

« LE PS S’EST CONVERTI AU NUCLÉAIRE EN ARRIVANT AU POUVOIR »

Initié par le général de Gaulle, qui le voyait comme un instrument de l’indépendance française, généralisé en tant que source principale d’énergie du pays par Georges Pompidou, le choix du nucléaire fait l’objet depuis au moins trente ans d’un consensus assez fort dans la classe politique française, écologistes exceptés. Si des différences existent sur l’avenir à donner à la filière, tous ces partis déploient les mêmes arguments pour justifier qu’ils ne souhaitent pas sortir du nucléaire : l’indépendance énergétique, le coût moins élevé, et plus récemment le fait que cette énergie n’augmenterait pas l’effet de serre.

Un autre élément est aussi à prendre en compte : le poids économique de la filière nucléaire française. Comme Nicolas Sarkozy l’a répété à plusieurs reprises depuis la catastrophe nucléaire japonaise, le nucléaire représente un secteur industriel important dans lequel la France possède des « champions » de niveau mondial, dont Areva. La directrice de ce groupe, Anne Lauvergeon, est d’ailleurs une ancienne membre du cabinet de François Mitterrand. « Le PS était plutôt hostile au nucléaire dans les années 1970, note Christophe Caresche, il s’est converti au nucléaire en arrivant au pouvoir dans les années 1980. »

« IL Y A UN LOBBY NUCLÉAIRE COMME IL Y A UN LOBBY ANTINUCLÉAIRE »

De fait, il n’y a guère qu’Eric Besson pour prétendre à l’inexistence d’un groupe de pression en faveur du nucléaire en France. Pour nombre d’élus, c’est une évidence. « Les rapports des offices scientifiques légitiment la nécessité d’un nucléaire fort, il y a souvent une volonté de minimiser les risques » dans les rapports parlementaires, assure Christophe Caresche. Michèle Rivasi, elle, pointe le rôle particulier du corps des ingénieurs des Mines, « une structure française typique, de gens qui se considèrent comme des élites, et qui pensent que c’est à eux seuls d’élaborer la stratégie énergétique du pays, et que la question ne concerne surtout pas le peuple ».

Qu’ils soient de gauche ou de droite, les parlementaires réputés les plus proches de l’industrie nucléaire, finissent eux aussi par admettre l’existence d’une convergence d’intérêts. Deux députés en particulier sont identifiés par leurs collègues comme des porte-parole du nucléaire en France : à gauche Christophe Bataille, élu du Nord, et à droite Claude Birraux, député UMP de Savoie et président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Interrogé par Le Monde.fr, ce dernier finit d’ailleurs par lâcher : « Il y a un lobby du nucléaire comme il y a un lobby antinucléaire. S’il faut parler en terme de groupes de pression, il est évident que chacun cherche à défendre ses intérêts. »

Produire de l’électricité par éolienne est la voie de diversification préconisée par le Grenelle de l’environnementAFP

« IL N’Y A JAMAIS DE DÉBAT À L’ASSEMBLÉE »

L’irruption et la popularité grandissante des thématiques écologiques depuis vingt ans a modifié quelque peu le débat. En 2007, le PS proposait ainsi de diminuer progressivement la part du nucléaire au profit des énergies renouvelables. Un engagement également transcrit dans le Grenelle de l’environnement, même si la question du nucléaire a été d’emblée exclue de ces débats. « La différenciation des sources d’énergie est actée, ancrée et en cours, assure Claude Birraux. On doit avoir 20 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020, le gouvernement a remonté cet objectif à 23 %. »

Mais la mise en place de ces énergies renouvelables donne lieu à des pressions du lobby. La diversification vers l’éolien, amorcée à la suite du Grenelle, a été très laborieuse à se mettre en place. Les écologistes ont dénoncé à maintes reprises, à l’instar de Corinne Lepage, le rôle du fameux lobby nucléaire dans les multiples amendements limitant les possibilités d’installer des éoliennes.

Pour les écologistes, ce lobby a surtout pour effet d’empêcher tout débat public. « Il n’y a pas de débat à l’Assemblée sur la politique énergétique, les décisions se prennent directement à l’Elysée ou à Matignon », juge Michèle Rivasi. Depuis 2008,  cette orientation a été sanctuarisée par la création d’un conseil de politique nucléaire, où ne siège aucun parlementaire, mais des ministres, le chef d’Etat-major des armées et l’administrateur du Commissariat à l’énergie atomique, ainsi que le chef de l’Etat et le premier ministre.

Après la tragédie japonaise, peut-on imaginer un débat sur la sécurité de la filière nucléaire française ? Claude Birraux se dit favorable à ce que « l’autorité nucléaire française passe en revue les centrales ». Quant à l’idée d’une discussion publique sur l’usage du nucléaire et les stratégies énergétiques du pays, comme l’Allemagne, par exemple, en est coutumière, l’élu UMP juge qu’« on peut avoir un débat,  bien entendu, mais le problème est que ceux qui le réclament ont déjà préempté la discussion ». « Le problème en France, réplique Michèle Rivasi, c’est que si on émet la moindre critique ou la moindre question sur le nucléaire, on est illico classé comme antinucléaire. C’est un débat binaire. »

Samuel Laurent 

« savoir n’est pas comprendre« .   Dominique Wolton, sociologue des médias,

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