| 28.02.11 | 10h59 • Mis à jour le 28.02.11 | 11h06
Le temps s’écoule, cruel, inexorable. Chaque jour, il creuse le visage du président de la République, rabote son crédit, érode son autorité, dévalue sa parole, réduit ses marges d’initiative.
A la mi-novembre 2010, lorsque, après des mois de tergiversations, Nicolas Sarkozy avait remanié son gouvernement, il pouvait espérer avoir mis en place un dispositif solide pour engager la bataille de 2012. Le dernier acte de son quinquennat allait s’organiser sur des principes classiques et efficaces : un président qui préside, s’occupe de l’essentiel, fixe la feuille de route et se consacre aux affaires économiques du monde en présidant le G20 ; un gouvernement qui gouverne, conduit par un premier ministre enfin reconnu pour tel et charpenté par des ministres aguerris ; enfin un cap clair : poursuivre les réformes au nom de l’intérêt général.
Il restait, alors, cinq cents jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Assez pour amorcer un nouvel élan. Une centaine se sont écoulés, depuis, ou plutôt ont été dilapidés en pure perte.
C’est évidemment le cas pour le gouvernement. Celui de novembre n’aura pas tenu plus de trois mois. Nicolas Sarkozy se targuait d’être le meilleur DRH de la scène politique française. Il vient d’être contraint de se déjuger et de sacrifier deux pièces maîtresses de l’équipe gouvernementale : la ministre des affaires étrangères et le ministre de l’intérieur. Autrement dit la voix de la France à l’extérieur et le garant de la sécurité à l’intérieur. Excusez du peu ! Dans le cas de Michèle Alliot-Marie, son départ était devenu inévitable après le pathétique feuilleton de ses vacances tunisiennes, sur fond d’affaires familiales, de connivences avec le régime déchu du président Ben Ali, de bourdes à répétition et d’incompréhension obstinée du mouvement de l’Histoire qui bouscule, depuis deux mois, toute la rive sud de la Méditerranée. Comment n’a-t-elle pas compris que c’était son devoir, autant que son honneur, d’offrir sa démission avant de se la voir imposer ? Comment a-t-elle pu, hier encore, se présenter en victime d’une cabale ? Comment n’a-t-elle pas mesuré le discrédit qui, à travers elle, atteignait de plein fouet le chef de l’Etat ? Disons, par charité, que cela reste un mystère.
Quant à Brice Hortefeux, qui a si longtemps été la voix de son maître et si longtemps bénéficié de l’indulgence présidentielle, la sanction est encore plus humiliante : il n’a pas commis d’autre faute que de n’être plus, aux yeux de l’Elysée, à la hauteur de sa fonction. L’on n’aurait garde, enfin, d’oublier le premier ministre. Apparemment triomphant en novembre quand il avait, en quelque sorte, imposé son maintien à Matignon, François Fillon est ensuite retourné sous sa tente, avant que les révélations sur ses vacances égyptiennes ne le murent dans le silence.
Il ne s’agit pourtant là, pour le président de la République, que de dommages collatéraux. Car c’est lui, évidemment, qui est en première ligne. Il voulait prendre de la hauteur, assumer pleinement ses fonctions et l’autorité qu’elles supposent, s’imposer sur la scène internationale grâce à la présidence du G20. C’était le moyen de reconquérir l’opinion et de faire la différence avec ses concurrents éventuels de 2012.
Or, les dernières semaines ont encore accentué le sentiment que le chef de l’Etat est à contretemps, ballotté par l’événement, taraudé par l’urgence de reprendre la main mais, jusqu’à présent, incapable d’y parvenir. Trop sûr de lui en apparence, trop hésitant et inquiet en réalité.
Ainsi, en deux mois, il aura utilisé trois modes de communication singulièrement désaccordés : en janvier, une succession de vœux insipides supposés « faire président » ; en février, deux heures et demi de causerie télévisée avec des Français trop soigneusement choisis pour que le résultat ne soit pas lénifiant ; le 27 février, enfin, une allocution à l’ancienne, plus figée que solennelle, et dont chacun aura compris qu’elle était destinée à habiller le départ de « MAM » et de Brice Hortefeux.
Sur le fond, le constat n’est pas plus brillant. Parmi d’autres, deux exemples en attestent. En réponse aux révolutions en chaîne qui balayent le monde arabe, il est pour le moins étrange de ressortir du placard l’Union pour la Méditerranée (UPM), dont M. Sarkozy voulait faire l’un de ses grands œuvres. Le chef de l’Etat pourra toujours s’enorgueillir d’avoir été prémonitoire en la matière ; mais il ne saurait masquer que, depuis son lancement en grande pompe, en juillet 2008, l’UPM est mort-née, paralysée par mille rivalités et contradictions que Paris n’a pas su surmonter.
Dans un tout autre registre, la réforme de la fiscalité du patrimoine, annoncée le 16 novembre comme l’un des grands chantiers de 2011 menace de tourner au casse-tête. Pour le chef de l’Etat, il s’agissait de se délester avant 2012 de l’encombrant boulet du bouclier fiscal et, en compensation, de supprimer l’impôt sur la fortune. Sans craindre la cacophonie, de nombreuses voix dans la majorité, et jusqu’au ministre du budget, François Baroin, ont expliqué que la suppression de l’ISF serait budgétairement acrobatique et politiquement imprudente. L’on verra, dans les prochains jours, si M. Sarkozy cède ou impose ses vues, envers et contre tout.
Le bilan de toute cette séquence est limpide : loin de la reconquête espérée, le chef de l’Etat enregistre, semaine après semaine, l’érosion apparemment sans fin de la confiance que lui accordent les Français ; même sa capacité à conduire les affaires internationales de la France – apanage présidentiel par excellence – est désormais largement mise en doute par deux Français sur trois.
La fin de ce quinquennat risque d’être bien longue pour le principal intéressé. Mais il pourra toujours se réconforter en songeant qu’il ne lui reste plus que quatre cents jours à tenir. Courage, président !
Gérard Courtois (Chronique « France »)