Pourquoi Nicolas Sarkozy s’est-il placé en première ligne sur les questions de sécurité ?
Nicolas Sarkozy est un ancien avocat, il connaît bien la justice et dit clairement « qu’elle ne lui fait pas peur ». Il n’hésite pas à y mettre les mains, que ce soit pour porter plainte lui-même, ou pour intervenir dans les rouages de la justice pénale. Ses prédécesseurs, que ce soit Jacques Chirac ou François Mitterrand, avaient plus de retenue par rapport à cette institution. Lui a fait des questions sécuritaires son fonds de commerce électoral, elles sont au cœur de son discours depuis 2002.
Entre 2002 et 2007, lors de ses deux passages au ministère de l’intérieur, il s’est positionné comme le futur « président de la sécurité » pour parvenir jusqu’à l’Elysée, et la sécurité englobe bien évidemment la justice. Pendant qu’il était garde des sceaux, Dominique Perben (2002-2005) admettait déjà que les réformes mises en œuvre à la justice émanaient pour une bonne part de la place Beauvau. Pendant toute cette période, de nombreux textes concernant la justice ont en fait été inspirés par Nicolas Sarkozy.
En 2007, c’est donc presque un soulagement pour les magistrats de le voir partir pour l’Elysée. La nomination de Rachida Dati place Vendôme sera pourtant une énorme gifle pour eux, puisqu’elle même reconnaîtra que son rôle est de mener à bien les réformes inspirées par Nicolas Sarkozy.
En quoi cette stratégie est-elle payante, politiquement ?
Dans sa volonté de réformer tous azimuts, il supporte mal les contre-pouvoirs, et la justice en est un. Il la perçoit comme un frein. Par exemple, le premier texte de loi promulgué par le gouvernement Sarkozy, juste après son arrivée à l’Elysée, est la loi sur les peines plancher, une réforme qu’il souhaitait depuis 2003, mais qui s’était heurtée à l’opposition des gardes des sceaux de l’époque, Dominique Perben et Pascal Clément.
Entre 2002 et 2007, Nicolas Sarkozy s’est montré extrêmement virulent contre les juges : en 2005 vis-à-vis du juge Hahn, par exemple, critiqué pour avoir relâché Patrick Gateau, le meurtrier de Nelly Crémel, ou en 2006 vis-à-vis du juge Rosenczweig du tribunal de Bobigny, taxé de laxisme. Sa victoire en 2007 prouve à quel point cette stratégie du « président de la sécurité » a bien fonctionné.
Depuis six mois, Nicolas Sarkozy est reparti en campagne, il recycle donc ses recettes de 2007 : mettre en avant les victimes et légiférer dans l’urgence. L’instrumentalisation des faits divers n’est pas nouvelle en politique, mais lui a vraiment su créer une « industrie » des victimes.
Le stratagème ne commence-t-il pas à devenir trop grossier ?
Cette mécanique est effectivement en train de se gripper, on peut le constater de trois façons. Premièrement, de plus en plus de hauts magistrats se joignent à la grogne des juges, en témoigne la charge du président du parquet de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, contre le « mépris » du gouvernement pour les juges. Deuxièmement, les policiers soutiennent de plus en plus les magistrats, alors que Nicolas Sarkozy avait toujours pris soin d’opposer les premiers, qui « arrêtent », aux seconds, qui « relâchent ». Enfin, de plus en plus de politiques, dans les rangs de la majorité, estiment que des nouvelles lois sont inutiles et qu’il suffit d’amender celles qui existent déjà.
Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, 40 % des incriminations du code pénal ne sont pas utilisées, ce qui veut dire qu’on fait des lois à partir de cas véritablement isolés et qui n’ont que très peu de chances de se représenter. A l’origine, l’intention de Nicolas Sarkozy est louable : il souhaite réformer une institution qui peut être archaïque et poussiéreuse. Pour cela, il tente systématiquement d’enjamber l’institution, or la justice demande du temps.
Actuellement, la grogne des magistrats fait tache d’huile. Au TGI de Paris, j’ai vu environ trois cents magistrats en assemblée générale, soit les deux tiers des magistrats du tribunal. Et c’est un mouvement spontané, qui ne part pas des syndicats.
Ce mouvement peut-il convaincre l’opinion publique ?
Le problème est que le sort des magistrats laisse les gens insensibles, et que ceux-ci ont tendance à se placer naturellement du côté des victimes. Nicolas Sarkozy le sait, et il n’hésite pas à s’en servir. Sa volonté d’introduire le peuple au cœur même de la justice, en instaurant des jurys populaires dans les tribunaux autres que les cours d’assises, en est le parfait exemple.
Propos recueillis par Audrey Fournier