Ségolène : la leçon!

La leçon de Ségolène Royal à ses amis socialistes

Ecrit par  Zaki LAÏDI
Chroniqueur – politologue au Centre d’études et de recherches internationales (CERI)

Quelles que soient les réserves que suscitent tant la personnalité que le programme politique de Ségolène Royal, force est de constater sa supériorité tactique sur la plupart des dirigeants socialistes. Bien mieux qu’eux, elle a compris que l’élection présidentielle était d’abord et avant toute une aventure personnelle. Et si elle l’a si bien compris c’est parce qu’elle est mitterrandienne bien avant d’être socialiste.

Les motifs qui ont poussé Ségolène Royal à se lancer dans la bataille des primaires après avoir habilement feint d’être rentrée dans le rang tiennent à deux raisons. La première et la plus fondamentale fait qu’elle a senti que ses deux principaux rivaux hésitaient à se lancer dans la course. En effet, ni Martine Aubry ni DSK ne semblent certains de vouloir accéder à la magistrature suprême ou de tout faire pour y accéder. Si « ils » hésitent c’est qu’ils ne sont pas sûrs d’eux. Tel est le raisonnement de Mme Royal. A leur indécision elle oppose sa détermination.

La seconde tient au fait que Martine Aubry n’a probablement pas réussi à s’imposer, aux yeux de son parti, comme un leader d’opposition indiscutable notamment pendant la grève sur les retraites. Ce relatif échec tient au fait qu’elle n’est pas nécessairement à l’aise dans les jeux d’appareil partisans, des jeux que maîtrise fort bien un Benoît Hamon, dépourvu de tout mandat national, mais décidé à barrer la route à DSK.

Or à mesure que Martine Aubry s’affaiblissait, toute une partie du Parti socialiste qui voyait en elle la candidate idéale, d’abord pour contrer Royal et ensuite pour battre Sarkozy, a commencé à reporter ses espoirs sur DSK pour une raison toute simple : il est dans les sondages le mieux placé pour battre Nicolas Sarkozy. Car la nouveauté est là : la plupart des dirigeants socialistes veulent à tout prix retrouver les allées du pouvoir après une cure d’opposition qui leur paraît de plus en plus insoutenable et qui les condamnera à une retraite politique en cas de nouvel échec en 2012.

Mais si les socialistes veulent revenir au pouvoir, ils ne savent pas comment y parvenir. A droite, les choses sont claires : l’important est de désigner un chef et de le suivre jusqu’à la victoire.

A gauche, les choses sont bien plus complexes. Leur culture politique historique demeure unanimiste. Le Parti socialiste a du mal à assumer la question fondamentale du leadership. Cette faiblesse très ancienne explique d’ailleurs pourquoi le Parti socialiste parvient à avoir une remarquable implantation locale mais continue à buter sur l’obstacle présidentiel. Pour résoudre cette tension entre leadership politique et unanimisme culturel, il a cru trouver une solution intermédiaire à travers les fameuses primaires. Mais là encore, il ne les a jamais réellement assumées. Il ne les a dans un premier temps acceptées que parce qu’il s’agissait pour la direction du Parti socialiste de survivre après la déroute des élections européennes.

Mais, pour la majorité des dirigeants du PS, les primaires ne sauraient relever d’une compétition ouverte où chaque candidat mettrait en avant sa propre vision des choses (primaires de sélection). C’est davantage un moyen de doter d’une légitimité politique forte un candidat faisant l’objet d’un consensus politique préalable (primaires de confirmation). Cette dernière option qui avait été celle retenue par la gauche italienne, avec le succès que l’on sait, se doit donc d’intervenir le plus tard possible non pas seulement comme on le pense pour s’accommoder des contraintes de DSK mais aussi pour différer ce qui a tort ou raison pourrait apparaître comme un affrontement fratricide.

C’est ce calendrier politique préétabli que Ségolène Royal a fait voler en éclats à la fois pour les raisons que nous avons indiquées mais également parce qu’elle a bien compris que le remaniement du gouvernement permettait potentiellement à la droite de se réunifier sous l’autorité de Nicolas Sarkozy pour préparer la bataille de 2012 en prenant un an d’avance sur la gauche. S’étant replacée au centre du jeu, elle veut à présent éliminer Martine Aubry en la réduisant au rôle de première secrétaire non candidate, c’est-à-dire dépourvue de toute réelle autorité et contraindre DSK à dévoiler beaucoup plus tôt ses intentions. Si ce dernier s’en tient à son calendrier, c’est-à-dire qu’il temporise volontairement en sous-estimant une fois de plus madame Royal, celle-ci à la faveur de la campagne des cantonales qui est décisive pour la gauche, fera valoir que la présidentielle exige d’être présent sur le terrain ici et maintenant.

Ségolène Royal est loin d’être sûre de pouvoir réussir. Mais tout indique qu’elle comprend mieux que ses rivaux que la logique politique et institutionnelle de la V e République passe par une très forte personnalisation du pouvoir et de ses enjeux.

Zaki Laïdi est directeur de recherche à Sciences po

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