l’heure du laitier….ou le leurre du laitier!

 L’heure du laitier a-t-elle sonné ?             

Depuis le début des années 1960, les exploitations laitières sontengagées dans une course éliminatoire, sans fin. Bien qu’elle n’ait plus de raisond’être, une « concurrence libre mais faussée » favorise toujours les plusproductivistes en vue d’une sélection sur leur taille. En effet, les exploitations produisant les plus gros volumes sont dites les plus compétitives. C’est à dire lesplus aptes à supporter une baisse du prix du lait (au fait, au bénéfice de qui ?),compte tenu des économies d’échelle qu’elles sont censées réaliser, mais aussi etsurtout grâce au surplus d’aides publiques qu’elles perçoivent. Eh bien, mêmefavorisée, la « compétitivité économique » revendiquée est loin d’êtreautomatiquement avérée. Dans la situation de crise actuelle, due justement à unechute des cours, ce sont les plus grosses exploitations endettées qui connaissentles plus grandes difficultés financières.           

 Qu’importe rétorquent en chœur les laiteries, pouvoirs publics et FNSEA.Il faut continuer à restructurer pour concentrer les volumes et à industrialiser(robotiser) les méthodes de production pour améliorer la productivité du travail.Seules façons à leurs yeux de rester « compétitifs » plus longtemps. Et chacun decontinuer à œuvrer en ce sens, dans des rôles complémentaires. L’industrie laitièreva bientôt être en mesure de rythmer les éliminations à sa guise. Après la fin desquotas, chaque laiterie pourra délimiter sa zone et réduire le nombre de ses pointsde collecte. Il lui suffira, par exemple, de conditionner le prix du lait à la distanceparcourue et au litrage collecté. Parallèlement, les pouvoirs publics encouragent leprocessus en dopant au départ les plus compétiteurs du volume, puis en les surperfusantaux primes PAC, par la suite. Ainsi, l’Europe et les Régionssubventionnent l’agrandissement ou la création d’étables plus spacieuses dans lecadre d’un programme qualifié de modernisation, quand il s’agit surtout derestructuration. L’État, lui, allège la « charge fiscale et sociale » de ceux quiinvestissent dans le croît du cheptel vaches et dans de nouveaux équipements.Puis la FNSEA cautionne et accompagne le mouvement en regardant tomber lesperdants, qu’elle prétend défendre

En laissant la main (abandon des quotas, de la régulation des marchés…),le politique confie, de fait, à l’industrie laitière notamment, le soin de généraliser lesystème productiviste conformément à ses propres intérêts : trouver suffisammentde lait le moins cher possible. En l’acceptant, les tenants du « produire toujoursplus » se condamnent à accélérer leur fuite en avant. Certains phagocyterontencore plus de voisins. D’autres diversifieront leurs activités, sources de revenuscompensateurs, en produisant de l’énergie, par exemple. C’est d’ailleurs ce qui apermis à certaines laiteries de se procurer du lait à moindre prix, en Allemagne.« Energie-culteurs », voilà un nouveau métier pour éleveur ne pouvant plus vivrede sa production de lait. Ce faisant, les uns et les autres mettent en place desoutils de production de plus en plus lourds en capitaux non rentables et nontransmissibles à des jeunes. Et les dommages collatéraux s’aggravent : disparitioncontinuelle des exploitations, dévitalisation des territoires, pollutions en toutgenre, réduction des maillages bocagers, appauvrissement des ressourcesnaturelles, des sols, de la biodiversité… Puis, pour les consommateurs, seule laqualité des produits baisse.           

 Sans limites – ni politiques (fin des quotas), ni techniques (elles reculentsans cesse) – la course pourra-t-elle s’arrêter avant qu’il n’y ait plus qu’un seulpoint de collecte par laiterie, l’exploitation la plus « compétitive », qui entretemps sera devenue sa propriété ? Ce sera une ferme, enfin moderne ! Des milliersde vaches en hors-sol dans une même étable, à étage peut-être. Tout serarobotisé et fonctionnera sous la surveillance de « vachers intérimaires ». Le laitcoulera directement de la salle de traite dans les cuves de l’usine. Fini, les laitiersà l’aube dans les fermes. Ils auront changé de fonction et de camion. Ceux-ci,beaucoup plus nombreux, sillonneront la campagne pour ramasser le maïstransgénique destiné aux vaches. Le surplus de gasoil consommé sera compensépar la méthanisation du fumier et la « photovoltaïsation » de la toiture de l’étable.Scénario extrême, certes. Mais, même sans aller jusque là, un tel développementagricole a-t-il une utilité publique, sociale ou sociétale ?             

Une alternative, à cette course mortifère, existe et se trouveprincipalement entre les mains des professionnels et des politiques.Les premiers, ceux engagés dans cette compétition, peuvent abandonner le« produire toujours plus » pour adopter le « produire autonome et économe », biode surcroit. Un système de production qui répond à la fois aux attentes desagriculteurs, des consommateurs et des citoyens. Il permet à chaque éleveurd’obtenir autant de revenu avec moins de moyens de production (terres, litrage,équipements…) et du même coup de maintenir plus d’emplois exploitants, tout enayant d’aussi bonnes conditions de travail et en assurant la pérennité de sonexploitation et sa transmissibilité. Un constat confirmé par l’observatoireéconomique du RAD (Réseau Agriculture Durable). Notons au passage que si uneréduction de charges est bonne pour le revenu, un lait bien payé lest aussi. Cesystème est également en mesure de produire le quota laitier national aussisûrement que l’autre, tout en offrant aux consommateurs un lait de meilleurequalité à prix égal (excepté le bio, pour l’instant). Les citoyens y trouverontsatisfaction sur nombre d’aspects territoriaux et environnementaux.Quant aux politiques (UE, État, Régions), à eux d’utiliser les fonds publicsdont ils ont la responsabilité, à la réalisation de ces objectifs au lieu desubventionner inconsidérément l’accumulation des moyens de production et deservir indirectement les intérêts d’un marché surabondant du machinisme et deséquipements agricoles, puis ceux des industries agroalimentaires. Puisse la PAC2013 y contribuer ? 

Gustave DELAIRE, 5 novembre 2010

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