réforme des retraites = un choc sur le marché du travail

Philippe Askenazy : « La réforme des retraites, très rapide, va créer un choc sur le marché du travail »

Recueilli par
Frederic SCHAEFFER
Journaliste

  • La réforme des retraites fait craindre aux jeunes que le départ retardé des seniors leur ferme encore plus les portes de l’emploi. Cette crainte est-elle fondée ?

Sur le long terme, cette réforme des retraites n’handicapera pas l’accès des jeunes à l’emploi. En revanche, elle participera à une montée du chômage des jeunes et des seniors au cours des prochaines années. Concernant les jeunes, la difficulté ne viendra pas du secteur privé mais du public : dans les trois fonctions publiques, qui représentent un cinquième de l’emploi salarié en France, les recrutements se font principalement pour remplacer des départs à la retraite. C’est un marché fermé qui fait que toute personne qui ne part pas empêche une personne de rentrer. Le fait qu’un senior reste deux ans de plus devrait ainsi faire baisser de 20 % les recrutements d’agents au cours des dix ans à venir. Cela fait de l’ordre de 30.000 postes de moins par an pendant une dizaine d’années. Cela peut paraître peu dans l’absolu, mais cela va être très concentré sur une seule classe d’âge. C’est donc un important débouché pour les jeunes qui va encore plus se tarir.

Et concernant l’emploi des seniors ?

C’est, cette fois, dans le secteur privé que le risque est significatif. Si reculer l’âge de départ pour un fonctionnaire se traduit effectivement par un senior maintenu en emploi, la mécanique est bien plus complexe dans le privé. Trop d’entreprises ont pris l’habitude de se séparer très tôt des salariés, parfois dès 55 ans. Pendant de longues années, les politiques publiques ont multiplié les dispositifs de retraite anticipée dans l’idée de laisser la place aux jeunes. Cette culture du départ anticipé est maintenant profondément ancrée tant du côté des chefs d’entreprise que des salariés. Changer les comportements et les organisations prendra du temps. Les entreprises vont devoir profondément revisiter la gestion de leurs ressources humaines et des programmes de formation : jusqu’à présent, elles investissaient peu sur un salarié au-delà de 45 ans. Il est donc probable que les entreprises continuent d’embaucher des jeunes sans pour autant conserver l’emploi des seniors pendant quelque temps.

Pourquoi êtes-vous optimiste à plus long terme ?

A brève échéance, la question du partage du travail se pose d’autant plus que nous sortons à peine d’une profonde crise économique. Si le chômage a peu progressé en Allemagne pendant cette crise, c’est bien parce qu’il y a eu des accords de réduction de temps de travail pour éviter les licenciements. Mais, sur le long terme, cette idée malthusienne qui est que le marché du travail est un gâteau qui se partage ne tient pas. De nombreux travaux ont, par exemple, montré qu’une vague d’immigration renforçait la concurrence sur le marché du travail pour les immigrés plus anciens, mais était à terme nettement créatrice de richesses. De même, quand un senior travaille, il crée de l’activité. Concernant le cas français, la réforme actuelle s’étend jusqu’en 2023. Dans la fonction publique, à cette date, la transition sera achevée et le rythme des départs – et donc des embauches  -reprendront. Dans le privé, on peut espérer que les entreprises auront alors revu la gestion de leurs ressources humaines et seront en capacité de maintenir les seniors en emploi.

Quelle solution auriez-vous souhaitée ?

Le projet de réforme actuel est très rapide et ne permettra pas de lisser dans le temps le choc créé sur le marché du travail. Il y aura donc un impact sur l’emploi durant la première décennie. Une plus grande progressivité est une des revendications de la CFDT. Les mêmes débats se font jour en Grande-Bretagne avec la réforme Cameron. Pour les hommes, l’âge du taux plein pour la pension d’Etat sera porté de 65 ans à 66 ans en 2020 et 67 ans dans les années 2030. Cette mise en place progressive laissera le temps aux structures de s’adapter pour les métiers « masculins ». Mais, pour les femmes, l’âge de liquidation sera rapidement porté de 60 ans à 66 ans dès 2020, faisant craindre un choc énorme sur l’emploi féminin.

PROPOS RECUEILLIS PAR
Les Echos
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