Planète sans visa, Luc Guyau à la tête de la FAO

Publié le 25 novembre 2009

La nomination est si belle, et dit si bien l’état réel du monde qu’on la croirait faite pour des gens comme moi. Luc Guyau est donc le nouveau président de la FAO – Food and Agriculture Organization, ou Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation -, structure mondiale créée à Québec (Canada) en 1946 (ici). La noble institution est logée à Rome, Viale delle Terme di Caracalla, et entretient une armada inouïe de bureaux régionaux, sous-régionaux, de représentations dans les pays, de départements, d’inspecteurs généraux et de directeurs.

Cette si vaste entreprise ne connaît pas la crise. Budget 2006/2007 : 765,7 millions de dollars. Budget 2008/2009 : 867,6 millions de dollars. On aura du mal à trouver bureaucratie plus plantureuse que n’est cette agence onusienne. Rappelons sans rire – ce n’est pas encore le moment -, que le but officiel mille fois proclamé de la FAO est « d’aider à construire un monde libéré de la faim ». Et sa fière devise latine n’est autre que Fiat panis,autrement dit : qu’il y ait du pain. Sauf qu’il n’y en a pas. Sauf que plus d’un milliard d’humains souffrent d’une faim chronique tandis que j’écris ces mots bien au chaud chez moi. Sauf que la FAO mériterait simplement d’être virée avec pertes et fracas, pour cause d’incompétence chronique. Mais les monstres ne sont jamais lourdés par quiconque. On les tue, ou bien ils vous dévorent, comme Scylla le fait d’un coup de mâchoire face à six compagnons du Grec Ulysse.

La FAO est tout simplement l’agent de l’agriculture industrielle dans le monde. Et s’il était possible de délimiter les responsabilités dans le désastre inouï où sont plongées les paysanneries du monde, nul doute que la FAO serait sur le podium. Médaille d’or ? Qui sait ? Il aura fallu attendre soixante ans pour qu’un colloque sur l’agriculture biologique se tienne à son invitation en mai 2007, à Rome (ici). Conclusion, tirée de la FAO elle-même, comme acculée dans l’impasse du productivisme : « Ces modèles suggèrent que l’agriculture biologique a le potentiel de satisfaire la demande alimentaire mondiale, tout comme l’agriculture conventionnelle d’aujourd’hui, mais avec un impact mineur sur l’environnement ».

Je me permets un commentaire, qui est comme un sous-titre. Cet aveu capital – l’agriculture bio peut nourrir la planète -, aura été arraché au contrôle des bureaucrates de la FAO, puis ennoyé dans cette langue effarante que ces gens osent parler. Il n’importe, car ce qui est écrit le demeure. La FAO soutient depuis des décennies un système fou qui ne fait qu’aggraver des problèmes cinglés. Heureusement arriva Luc Guyau. Beaucoup doivent connaître celui qui vient d’être nommé président du grand machin. Mais il y a les autres. Guyau, c’est simple, a occupé tous les postes de quelque importance au Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) et à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Il dirigeait ces derniers jours l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture, et à ce titre, on ne voit guère plus haut responsable de ce que sont devenues les campagnes de France, matraquées par les pesticides, conchiées par le lisier, dévastées par le remembrement industriel. Bien entendu, il est membre de l’UMP.

Et le voilà donc au sommet de la FAO, où il ne sera certes pas dépaysé. Je tiens à vous faire partager quelques découvertes simples sur Guyau, qui ne datent pas de Mathusalem. Laissez-vous conduire, je crois que c’est instructif. Premier mouvement : un discours. Nous sommes le 17 décembre 2008, et Guyau, président des Chambres d’Agriculture, réunit ses troupes en présence de Michel Barnier, alors ministre de l’Agriculture. Et cela donne, comme il se doit, un chef-d’œuvre. Sur l’usage des pesticides, que la société refuse de plus en plus massivement : « Le retrait rapide de certaines molécules phytosanitaires peut aboutir à des impasses techniques (…) Plus largement, il convient de déterminer de façon rigoureuse l’impact économique de ces décisions en s’appuyant sur des expertises, et en associant étroitement les producteurs et leurs représentants ».

Autrement exprimé, ces mots montrent s’il en était besoin que Guyau, totalement lié à l’industrie, ne veut pas entendre parler de l’interdiction de pesticides. Deuxième point, tout à fait cohérent : l’agriculture biologique. Le Grenelle a promis de faire passer la surface agricole utile dédiée à la bio de 2 % des surfaces en France à 6 % d’ici 2012. Ce qui impliquerait – rassurez-vous, le gouvernement s’en tape – des mesures historiques. Mais Guyau, de toute manière, sait déjà quoi en penser : « Les Chambres d’agriculture sont mobilisées sur ce dossier, même si les objectifs affichés nous paraissent difficiles à atteindre ». Beau comme l’antique, et traduction maison : la bio ira se faire voir dans les choux.

Troisième point enfin, plus sérieux pour un Luc Guyau : les biocarburants. Ah, l’homme est un renard. Les biocarburants tirés de plantes alimentaires n’ont plus la cote d’antan. Sauf chez Guyau, qui manie l’euphémisme et la périphrase comme l’expert qu’il est bel et bien. Ce qui donne : « Les Chambres d’agriculture sont aujourd’hui prêtes à participer à la réduction de la dépendance énergétique des exploitations et à réaliser une partie des 100 000 diagnostics énergétiques des exploitations agricoles, dont vous avez souhaité la réalisation d’ici 5 ans ».

Qu’es aquò ? Késaco, si vous préférez. Attention, colossale finesse. On avance masqués. Le ministère de l’Agriculture a concocté, avec les amis de Guyau – ces choses-là se règlent ensemble – un Plan de performance énergétique des exploitations agricoles (2009/2013), doté de 35 millions d’euros. On prend grand soin, dans les documents officiels, de ne pas prononcer le mot biocarburants. Je lis par exemple : « Ces actions [celles du Plan] peuvent porter sur l’adoption de pratiques plus économes en énergie (…), sur l’utilisation d’équipements qui améliorent la performance énergétique, et dans certains cas elles peuvent se traduire par la production d’énergies renouvelables ».

Le gras du texte est de moi. Il désigne, et en priorité, une aide accordée aux biocarburants. Dans un autre document du ministère de l’Agriculture consacré à ce fameux plan, je lis : « Seront également détectées les possibilités de produire des énergies renouvelables ». Derechef, et selon moi toujours, il s’agit de favoriser la production de biocarburants sans le clamer sur les toits. Non, je n’ai pas viré paranoïaque. En témoigne cet entretien avec Xavier Beulin, patron de Sofiprotéol, structure clé de l’industrie des biocarburants en France (ici). Que nous chante cet excellent Xavier ? Ceci : « Sur la période 2009-2013, le ministère de l’Agriculture et de la Pêche souhaite la réalisation de 100 000 diagnostics énergétiques (…) D’autre part, et cette partie est plus ambitieuse à moyen terme, l’objectif est de rendre les exploitations agricoles de plus en plus autonomes. Pour aider le ministère à déployer cette démarche sur le terrain, des conventions ont été signées avec six acteurs publics et privés, dont Sofiprotéol ».

Tiens donc, des partenaires privés dont le ministère aura oublié de parler. Lesquels ? GDF Suez, EDF, Total, Sofiprotéol, Cristal Union, soit l’essentiel du lobby des biocarburants en France. Voyez-vous, pour une fois, c’est vrai : on nous cache tout, on ne nous dit rien. Est-ce fini ? Ce texte immensément étiré est-il terminé ? Presque. Je reviens une seconde à Luc Guyau, notre beau président de la FAO. Il y a un peu plus d’un an, Guyau adressait au Premier ministre François Fillon (ici) une lettre que je ne peux qualifier que d’éclairante. Il y notait : « Aussi, les Chambres d’agriculture ne peuvent-elles partager les propositions législatives visant à instaurer des servitudes de bandes enherbées le long des cours d’eau, à rendre opposable la trame verte et bleue, à imposer l’agriculture biologique dans les aires de captage d’eau potable, à conférer aux agences de l’eau un droit d’expropriation ou encore à permettre à ces dernières de résilier les baux ruraux dans les zones humides ».

Il serait difficile d’être plus clair, mais il serait dommage de ne pas ajouter une ultime phrase, qui est comme une cerise sur le bidon de pesticides et des carburants végétaux. « Les Chambres d’agriculture demandent en outre le maintien des objectifs d’incorporation de biocarburants et des mécanismes de soutien afférents ». Au même moment ou presque – le 4 juin 2008 -, Xavier Beulin, l’homme du lobby précité, planchait devant la FAO, à Rome. Et que déclarait-il en se pinçant pour ne pas rire ? La même chose ou bien peu s’en faut : « Les biocarburants ne sont pas et ne doivent pas être réservés aux seuls pays riches. Ils peuvent également répondre utilement à l’indépendance énergétique de l’agriculture et de l’industrie dans les pays en développement ». Cette fois, le gras dans le texte n’est pas de moi. Beulin, devant la FAO, un an avant que Guyau n’en prenne les rênes.

Ma conclusion sera courte. Ceux qui auront eu le courage insigne de me lire jusqu’au bout sauront comment fonctionne concrètement le lobby de l’agriculture industrielle. Tous se connaissent. Tous sont d’accord. Tous jouent un rôle, leur rôle. Les tenants de cette industrie de l’agriculture n’essaient même plus leurs anciennes propagandes sur la nécessité de nourrir le monde. Ils sont nus. Aussi nus que l’Empereur des contes d’Andersen se baladant à poil dans les rues. L’objectif est de gagner des parts de marché, sans cesse et sans fin. En fabriquant, parce que cela rapporte, des biocarburants qui affament un peu plus les pauvres. Guyau à la Fao ? Logique, imparablement logique. Guyau à la FAO ? La vérité d’un monde exsangue. Le nôtre.

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